jeudi 9 août 2012

La France sauvage

Par Martine Betti-Cusso
La calanque d'En-Vau, baignée d'eau turquoise, est l'une des plus spectaculaires et des plus reculées du massif.
La calanque d'En-Vau, baignée d'eau turquoise, est l'une des plus spectaculaires et des plus reculées du massif.

Des sites naturels dignes du jardin d'Eden. Des panoramas à couper le souffle. Des noms magiques qui font rêver : les Calanques, Port-Cros, les Pyrénées, la Vanoise, le Mercantour, les Ecrins, les Cévennes. Cet été, partez à la découverte de nos parcs nationaux. Vous en reviendrez émerveillés...


Nombreux sont ceux qui dénoncent les côtes méditerranéennes envahies par le béton. C'est faire peu de cas des rivages protégés par le Conservatoire du littoral et les parcs nationaux. Mais comment font-ils pour garder à l'état sauvage ces petits coins de paradis? Pour le savoir, il suffit de se rendre dans les deux parcs bordant la grande bleue, les plus exposés, car les plus fréquentés en période estivale: Port-Cros, le plus ancien (né en 1963), et, depuis avril 2012, le Parc des Calanques de Marseille, négocié de longue date et de haute lutte. Il a fallu treize ans de palabres, de frictions, d'altercations, de concertations et de compromis divers avec population et politiciens locaux pour parvenir à sa création. À n'en pas douter, ce combat en valait la peine.
L'approche par mer est impressionnante. De loin, d'altières falaises d'albâtre forment un trait d'union entre le bleu outremer de Mare Nostrum et le bleu ciel du firmament. À quelques encablures de la côte, on distingue nettement les reliefs hardis des falaises creusées de lapiaz dans lesquels s'accrochent les troncs tortueux des pins d'Alep. La lumière fait briller les affleurements rocheux, les crêtes dénudées, caillouteuses, érodées par les vents violents et le soleil de plomb. Ce phénomène géologique, sculpté depuis douze mille ans dans le calcaire urgonien, s'impose tel un monument. À l'abri des calanques, pointus, voiliers et autres vedettes ont jeté l'ancre. Çà et là, des bouées surmontées d'un fanion signalent la présence de plongeurs.
Le lieu se visite aussi sous la mer. De nombreuses cavités s'enfoncent dans la roche, dont la grotte Cosquer au cap Morgiou (fermée au public), plus ancienne que celle de Lascaux et riche de dessins rupestres. Henri Cosquer l'a découverte en 1991, à 37 mètres de profondeur. Entre gorgones, éponges et corail rouge sur fonds de prairies d'herbiers de posidonie, les hommes-grenouilles rencontrent de temps à autre l'une des épaves qui gisent ici, parfois depuis l'Antiquité. Les écueils redoutables pour la navigation et la violence des vents dominants ont causé de nombreux naufrages.Ce ne sont pas les seuls trésors de ce parc national. À terre, sur le littoral, il faut un oeil exercé pour remarquer la discrète astragale de Marseille (Astragalus tragacantha). Cette plante, de prime abord ordinaire avec ses petites feuilles velues, ne s'épanouit qu'ici. On repère plus facilement les pétales violets de la saladelle commune ou lavande des mers qui résiste si bien au sel et à la sécheresse, mais plus difficilement au piétinement des étourdis.
Perché à 2200 mètres d'altitude, le lac d'Allous est l'un des joayaux du parc national du Mercantour.
Perché à 2200 mètres d'altitude, le lac d'Allous est l'un des joayaux du parc national du Mercantour.
Sur les crêtes de Morgiou, on embrasse du regard l'ensemble du massif. À l'ouest, plus retiré dans les terres, le sommet de Marseilleveyre fait face à l'archipel de Riou. Plus à l'est, se dresse le mont Puget, point culminant des calanques, et les falaises ocre de Cassis. Sur certaines collines, la végétation jeune et parcimonieuse atteste l'assaut des incendies. Dans les vallons préservés du feu, pins d'Alep, chênes verts et oliviers sauvages foisonnent, entourés d'espèces typiques de la garrigue: cistes blancs, arbousiers, genévriers, pistachiers, romarins... Il faut grimper plus haut, braver de rudes montées et des pentes glissantes pour repérer les fleurs jaunes du genêt de Lobel (Genista lobelii) ou la sabline de Provence (Arenaria provincialis), s'agrippant aux crêtes rocheuses et aux lapiaz, faisant fi des rafales de vent.«Les visiteurs ont peu d'égard pour cette végétation qu'ils estiment pauvre et banale. Le massif souffre de cela, se désole Sébastien Choux, jeune patrouilleur vert de l'équipe du parc. C'est pourquoi, nous devons les sensibiliser à la spécificité et à la fragilité de cette flore.»

Préserver la nature et la partager avec tous

Ces brigades, mises en place par le député Guy Tessier, président du Groupement d'intérêt public des calanques, veillent à la protection de l'écosystème, à la prévention des incendies, et informent les innombrables touristes. Cet espace sauvage situé aux portes de Marseille est d'accès aisé, donc particulièrement vulnérable. Tous les ans, ils sont 1,5 million de promeneurs, randonneurs, pêcheurs, chasseurs, grimpeurs, plaisanciers, cabanonniers, chacun s'appropriant le site, soutenant la nécessité de le protéger, mais défendant bec et ongles son «droit» à y pratiquer son activité.«J'ai essayé de concilier les traditions, les usages, sur terre comme sur mer, parce que ce parc est différent, compte tenu de la pression humaine qui l'entoure, insiste Guy Tessier. Il a fallu trouver un juste équilibre entre la préservation de la nature et son partage entre tous. Il ne s'agissait pas d'en faire un lieu sous cloche.» D'où son surnom de parc national «à la marseillaise», dont le règlement est jugé trop restrictif par les usagers et trop laxiste par les défenseurs de l'environnement. Les cabanons sont préservés, l'escalade, la randonnée, la chasse sont autorisées, mais le bivouac, interdit. La plongée sous-marine est admise avec accès limité à certaines grottes, la pêche prohibée sur 10 % de la zone tandis que le chalutage bénéficie d'un moratoire de quinze ans. Mais le parc existe... sur le papier.
Des associations de pêcheurs, de plaisanciers et de chasseurs ont attaqué le décret de création devant le Conseil d'État pour annulation. La rude bataille n'est pas terminée. Elle témoigne de la difficulté d'imposer le principe même du parc national face à des usagers qui redoutent une sanctuarisation de leur espace. Chacun - on en compte dix en France, dont sept en métropole - a ses spécificités, son patrimoine, ses familiers... Ces espaces sans frontières, sans grilles et sans tickets d'entrée, disposent d'un coeur de parc, soumis à une réglementation stricte, et d'une zone périphérique devenue, depuis la loi de 2006, une zone d'adhésion à laquelle les collectivités sont libres de souscrire ou pas. Celle-ci bénéficie d'une charte plus souple. Cette évolution dans la législation a pour but d'inciter les collectivités locales à adhérer et participer à la sauvegarde et à la mise en valeur du lieu. Afin de parvenir à concilier, dans une France toujours plus urbanisée, environnement sauvage, tourisme (les parcs nationaux attirent chaque année plus de 8,5 millions de visiteurs) et développement économique. Un numéro d'équilibriste.
Le Parc de Port-Cros a su, quant à lui, avec le temps, faire valoir ses règles. Aidé sans doute par son caractère insulaire. Plus ramassé, 700 hectares de terres et 1200 hectares de surface marine (auxquels s'ajoute depuis mai dernier, l'île voisine de Porquerolles), il parvient à canaliser les touristes qui arrivent par navettes (2000 par jour à la belle saison) et a imposé aux pêcheurs, plongeurs et plaisanciers des sites interdits et d'autres autorisés. Les résultats sont là: l'île est splendide, malgré la venue durant les mois d'été de 300.000 visiteurs, dont 60.000 plongeurs et 80.000 plaisanciers. L'été, une quinzaine d'agents veillent au respect de la réglementation et participent à l'animation d'outils pédagogiques comme le sentier sous-marin ou diverses expositions sur l'écosystème de l'île. De nombreux touristes se cantonnent au village et aux plages, délaissant les beautés de Port-Cros. Pourtant, il suffit d'emprunter les sentiers de traverse qui s'enfoncent au coeur du maquis pour découvrir son caractère sauvage. Ces terres, bénéficiant d'un microclimat clément, ont longtemps été exploitées par des maraîchers.
La pointe du Vallon de l'île de Port-Cros, auguste et abrupte.
La pointe du Vallon de l'île de Port-Cros, auguste et abrupte.
Depuis la création du parc et l'abandon des cultures, la forêt et le maquis ont repris leurs droits, occupant à leur guise vallons et massifs. Les chênes verts prennent l'avantage sur la population vieillissante de pins d'Alep, simplement en leur faisant de l'ombre. Dans le maquis, arbousiers et bruyères arborescentes ont colonisé la majeure partie du territoire. Des oliviers «désapprivoisés» depuis l'abandon des cultures bordent les sentiers, tandis que la lavande des îles et les romarins embaument la promenade au chant des cigales.
L'humain n'est pas le seul danger pour la faune et la flore locales. Des espèces importées comme les griffes de sorcière, l'eucalyptus, le mimosa d'Australie... mordent sur leur territoire. Aussi les agents du parc national assurent-ils une veille permanente et un contrôle régulier du développement de ces nouveaux venus, quitte à procéder à des arrachages. Ils interviennent aussi pour protéger le phyllodactyle d'Europe, ou lézard des murailles, petit reptile de la famille des geckos, menacé - aussi surprenant que cela puisse paraître - par le départ de l'homme et la disparition de ses constructions. Ils recourent donc, pour les travaux de restauration, à des assemblages de pierres sèches, qui servent d'habitat à l'animal. «Ces lieux maritimes préservés ont aussi permis la renaissance du mérou brun. D'une dizaine de sujets au début du programme, on en dénombre 700 aujourd'hui, explique Hervé Bergère, chef de secteur du Parc national de Port-Cros. De même, les grandes nacres, auparavant en voie de disparition, sont sept fois plus nombreuses. La petite girelle, le barracuda font aussi l'objet d'études, tandis que les algues envahissantes comme Caulerpa taxifolia et Caulerpa racemosa sont sous surveillance.»
Au-delà de la préservation de la biodiversité, les parcs nationaux ont permis, en offrant aux espèces menacées un havre de paix propice à leur reproduction, le repeuplement de la zone alentour. Ils ne sont plus simplement un lieu de refuge, mais un outil de gestion des écosystèmes. Loin d'être des musées exposant des natures mortes ou mettant des paysages sous cloche, les parcs nationaux sont des pépinières pour l'avenir.
Source: http://www.lefigaro.fr/voyages/2012/08/03/03007-20120803ARTFIG00492-la-france-sauvage.php

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